C'était un jour ensoleillé...
Pour Mademoiselle C., pas question de mettre le pied dehors par ce beau temps sans prendre le risque de gâter son teint de lait.
Alors, moitié par désœuvrement, moitié par esprit scientifique, elle avait mis à bouillir des trucs dans son chaudron, celui dans lequel elle mettait volontiers ses projets à mijoter.
C’était un jour expérimental…
Elle y avait mis :
v Quantité de vieilles dentelles. En effet, son antre en était envahie depuis qu’elle avait trouvé un sort qui améliorait les toiles d’araignées,
v De vieilles cartes postales, des photos de vacances, des modèles de couture et des sachets pour les graines. Ça débarrasserait toujours,
v Des ingrédients urticants et gélatineux destinés à faire mousser le tout,
v Et, au dernier moment, une bobine de fil rouge.
C’était un jour de grands rangements…
Dans le chaudron, cela bouillonnait avec des soupirs, des odeurs tantôt acides, tantôt âcres et une fumée blanche de bon aloi.
Mademoiselle C. observait tout ça en se balançant dans son rocking-chair et touillait de temps en fredonnant des formules qu’on ne répètera pas car elles sont sous la protection du copyright.
C’était un jour vraiment créatif…
Enfin, lorsque la préparation eut tiédi, louche après louche, elle étala, avec son rouleau à pâtisserie, la pâte ainsi formée sur sa table.
Le résultat la déconcerta un peu : c’était mignon, c’était brodé de fil rouge, cela formait des images sur lesquelles on voyait des bulles de dentelle jouer les ludions. Il y avait des enfants aux joues pleines, de belles filles, des hommes jeunes et sérieux.
C’était un jour un peu trop sage…
Mais, en regardant de plus près, Mademoiselle C. se rendit compte que le petit Prince était étranglé par son écharpe, soudain mue d’une volonté maléfique. Elle voyait maintenant de drôles de gens qui faisaient de drôles de choses : des langues de feu leur sortaient de la bouche, leurs yeux étaient ronds comme des cibles de tir, des cornes de diable poussaient au front de ce fiancé, la main de l’enfant se transformait en pince de crabe et son visage se couvrait d’une épaisse couche cornée, comme s’il émergeait de profondeurs abyssales. D’un chou était né un enfant qui n’était le chouchou de personne.
Il y avait des agneaux qui n’en étaient pas et des bêtes dont le souffle brûlait.
Alors, Mademoiselle C., satisfaite, s’installa dans son rocking-chair, pour siroter un martini-gin…
C’était un jour vraiment bien rempli…
J’ai fait ce texte pour accompagner une série de tableaux de mon amie Carole Fromenty, série dont j’adore la beauté un peu naïve avec, presque toujours une touche un peu inquiétante.
carolefromenty.com